Avec le début de la nouvelle année ecclésiastique, le voyage vers Noël commence. Il y a tout juste 800 ans, saint François d’Assise a construit sa première crèche vivante à Greccio, en Italie. Il voulait que cet événement spécial de notre histoire soit présent et mémorisé de manière vivante. Depuis lors, la décoration des églises, des places et des maisons avec une crèche est devenue une belle tradition, et les Napolitains en particulier sont devenus les spécialistes de la création de villages miniatures, dans lesquels il est parfois très difficile de trouver la Sainte Famille.
Aujourd’hui, dans de nombreux endroits, cette même crèche semble avoir été supplantée par de somptueuses décorations de Noël, et remplacée par un Père Noël qui, en tant que figure centrale, doit attirer les gens surtout dans les vitrines des magasins pour faire de Noël un événement essentiellement banal et surtout commercial. Si l’arbre de Noël avait encore une connotation religieuse en référence à la vie nouvelle qui a commencé ici à la naissance du Messie, avec les orbes rouges en référence à la pomme de l’histoire de la Chute, avec le Père Noël, tout lien avec le religieux a été rompu. C’est une évolution regrettable à laquelle nous ne voulons surtout pas participer, mais au contraire continuer à mettre en valeur l’événement de Noël dans sa pleine réalité. C’est avec beaucoup de soin, que nous voulons redonner à la crèche une place centrale dans nos maisons et nos chapelles, et si possible sur nos places.
Mais l’événement de Noël est avant tout un événement religieux qui a marqué et continue de marquer notre humanité pour le pire. L’homme a été recréé, en quelque sorte, par la venue de Dieu lui-même dans notre nature humaine. Notre nature humaine a été divinisé par ce biais. Ou, pour citer saint Athanase, “Dieu s’est fait homme, afin que l’homme lui-même devienne Dieu“. Créé par Dieu, l’homme a été élevé au rang d’enfant de Dieu. C’est un événement que nous n’estimerons jamais assez et pour lequel nous ne montrerons jamais assez de gratitude. Ce n’est pas sans raison qu’à partir de la naissance du Christ, le décompte du temps a été remis à zéro, pour recommencer à compter à partir de cet instant. Nous sommes vraiment entrés dans une nouvelle ère.
L’incarnation de Dieu ne peut pas nous laisser indifférents. Elle est l’expression la plus extrême de l’amour de Dieu pour les êtres humains, pour chaque être humain, y compris vous et moi. Il est même stupéfiant de se rappeler que le Dieu tout-puissant s’est fait si petit pour venir parmi nous, pour nous montrer l’image et la ressemblance qu’il a imprimées de lui-même en nous et comment nous devrions constamment vivre en fonction de cette image et de cette ressemblance. En effet, dans le Christ, nous voyons l’homme parfait, l’image sans tache de Dieu, l’image que Dieu a également implantée en chacun de nous, mais qui a été déformée et violée par le pouvoir du mal. Nous entendons le centurion sous la croix s’exclamer : “Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu” (Mc 15,39). Quelques instants auparavant, Pilate avait dit en montrant à la foule Jésus flagellé et couronné d’épines : “Ecce homo – voici l’homme” (Jn 19,5). Pilate n’a pas dû penser à l’époque qu’il donnait ainsi la description la plus précise de ce qu’était réellement Jésus : l’être humain en qui l’image de Dieu était présente d’une manière totale, vers laquelle nous devrions tous nous tourner, nous orienter et nous identifier. Mais avec l’Incarnation, c’est aussi notre salut qui est mis en perspective, en brisant définitivement le pouvoir absolu du mal et en nous offrant la résurrection comme perspective sur la mort.
Avec Jésus, nous avons reçu le modèle de comment vivre en tant qu’êtres humains et, en même temps, ce qui nous attend en tant que perspectives après cette vie. Pouvons-nous espérer quelque chose de plus et de mieux pendant notre vie sur terre ? Il est en fait impossible que nous n’en soyons pas marqués.
En tant que croyants, et plus particulièrement en tant que religieux, Noël reste donc un événement particulier, en dehors de tout le romantisme qui l’accompagne. Notre contemplation de la crèche devra toujours se concentrer sur le petit enfant dans la mangeoire. Il n’est pas facile d’y reconnaître Dieu. Tout comme il n’est pas facile de reconnaître dans l’Eucharistie la véritable présence de Jésus. Notre fondateur bien-aimé, le père Triest, a dit quelque chose de très beau et de très poignant à ce sujet : “Lors de l’incarnation, il semblait que Dieu avait mis de côté sa divinité pour se rendre présent parmi nous sous la forme d’un enfant. Mais à l’Eucharistie, il semble qu’il ait mis de côté son humanité pour se rendre présent parmi nous dans un morceau de pain”. Dans l’incarnation, Dieu a voulu venir à l’homme ; dans l’eucharistie, Dieu veut rester avec l’homme. Chaque eucharistie et communion est une rencontre avec ce Dieu vivant en Jésus. Est-ce que nous laissons-nous suffisamment pénétrer par cela lorsque nous célébrons l’Eucharistie et recevons la communion ? Nous devrions en fait chanter le Magnificat comme Marie après la communion, pour chanter comme Marie notre joie et notre gratitude d’avoir été trouvés dignes de devenir un avec Dieu en Jésus. En effet, à chaque communion, l’incarnation se réalise à nouveau, cette fois en nous-mêmes ! À chaque communion, le Christ naît à nouveau en nous. D’où le lien que je veux souligner entre l’événement de Noël et l’Eucharistie et la communion en particulier.
Notre réflexion devant la crèche est aussi un moment où nous pouvons prendre conscience de l’importance de l’humilité dans notre vie. Dans un monde débordant de la conviction que l’important est de se réaliser, sans encore se poser la question de savoir comment arriver à cette réalisation de soi-même, nous recevons ici le message paradoxal que nous ne trouverons notre véritable réalisation qu’au moment où nous nous viderons de nous-mêmes, où nous nous libérerons de tout ce qui nous lie et nous aveugle comme le pouvoir, les possessions et les plaisirs, et qui nous conduit à l’antithèse de l’humilité, c’est-à-dire l’orgueil. “Celui qui existait dans la majesté divine n’a pas voulu s’attacher à l’égalité avec Dieu ; il s’est humilié et a assumé l’existence d’un être humain” (Phil. 2 :6-9). Nous connaissons l’hymne au Christ, dans lequel Paul décrit comment Jésus s’est engagé avec obéissance sur la voie du dépouillement pour devenir ce qu’il était vraiment : le Fils de Dieu. “C‘est pourquoi Dieu l’a élevé très haut et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom…Jésus Christ est le Seigneur“. Celui qui s’humilie sera exalté et, par voie de conséquence, celui qui s’élève ici-bas dans l’orgueil sera humilié plus tard. L’humilité nous conduit aussi à la vraie fraternité et nous rend aptes à apprécier positivement l’autre dans son altérité. Lorsque nous sommes enfermés dans l’orgueil, l’autre est et reste toujours une menace et nous chercherons à l’humilier, à le mettre de côté comme une saleté et à perdre le respect que nous avons l’un pour l’autre. Avec l’orgueil, on se retrouve dans la situation de Caïn et Abel, où Caïn finira par s’exclamer qu’il ne se sent pas responsable de son frère, et entre-temps aura tué son frère parce qu’il ne voyait en lui qu’un rival qu’il regardait avec envie.
C’est pourquoi nous voulons faire de Noël la fête de l’humilité, en commençant par louer et remercier Dieu pour la manière dont il a daigné s’unir à sa créature. Nous voulons prier l’Enfant dans la crèche de faire nôtre cette humilité et, à partir de cette humilité, nous essayons de voir et d’aimer Jésus lui-même dans toutes les personnes que nous rencontrons. Tout comme il est difficile de discerner Dieu dans cet enfant, il restera bien sûr difficile de voir Jésus lui-même dans chaque être humain. Mais pour cela, nous pouvons compter sur la grâce de Dieu, tout comme les bergers ont été mis en route par les anges pour descendre à l’étable et y adorer Dieu avec les yeux de la foi.
Et lorsqu’un arbre de Noël est également présent, qu’il nous rappelle la rédemption que Dieu nous a accordée par l’Incarnation. En effet, les bulbes rouges de Noël, anciennement pommes rouges, font référence aux fruits du paradis terrestre, qui n’ont pas été enflammés par le ver de la destruction et qui n’ont pas été rongés par la convoitise du péché. Ils sont à nouveau impeccables, étincelants, en référence au paradis éternel où nous espérons résider un jour et où ils abonderont.
Une nouvelle année ecclésiastique nous renvoie à un nouveau départ, un nouveau commencement. C’est le moment où nous jetons un regard évaluatif sur ce que l’année écoulée nous a apporté d’inquiétudes, de déceptions, mais aussi ce qui était bon et surtout vers la grâce qui nous aidait pour transcender tout cela et continuer à voir la main de Dieu même dans le moins bon. Bien sûr, par-dessus tout, c’est le moment de regarder vers l’avenir, avec l’espoir et la confiance que nous procure la certitude que nous ne sommes pas seuls. Car avec la grâce de Dieu, le soutien des autres et nos petits efforts, beaucoup de choses sont possibles. Le Christ n’a-t-il pas dit qu’avec une foi inébranlable, nous pouvons même déplacer des montagnes ? Les montagnes sont là, mais c’est souvent la foi qui fait défaut et qui nous rend anxieux. Ici aussi, le message de la crèche résonne : “N’ayez pas peur, je suis là, vous ne me voyez pas ? »