Introduction
Je voudrais exprimer ma gratitude à la direction de SEDOS pour m’avoir invité à participer à ce séminaire résidentiel et à partager mes idées basées sur mes expériences en tant que prêtre religieux missionnaire, pasteur (évêque) de l’église locale, l’archidiocèse de Bangui, République centrafricaine, qui a une expérience vivante du travail missionnaire dans de zones déchirées par les conflits, les guerres et la violence. Je voudrais féliciter SEDOS pour l’organisation de ce séminaire résidentiel sur un thème très important.
Notre intervention s’articule autour de trois points, à savoir : le courage prophétique, le Témoignage prophétique et l’avènement de la paix, et enfin le langage de vérité au service de la communion universelle.
« Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous » (1 P 3, 16)
Cette déclaration solennelle de Pierre au lendemain de la résurrection du Christ se présente comme une véritable Magna Carta de témoignage de la foi chrétienne. La foi chrétienne est elle-même fondée sur le témoignage de la mort et la résurrection du Christ (1 Co 15, 14). L’identité chrétienne tire ainsi son essence du témoignage, c’est-à-dire de la manière particulière de vivre la Sequela Christi et de répondre à son appel.
Témoigner c’est confirmer ou attester la vérité, la valeur de quelque chose par ses paroles ou simplement par ses actes ou par son existence même. Le mot grec martus signifie témoin. Le témoin est une personne qui subit un martyre, c’est-à-dire un supplice destiné à le faire renoncer à sa foi, et qui accepte la mort plutôt que d’abjurer. Le témoignage prophétique se vit souvent dans un monde plein de contradictions et de conflits.
La communion universelle que nous appelons de tout notre vœu ne sera possible que lorsque notre témoignage prophétique manifeste son authenticité, dans le courage d’annoncer la Bonne Nouvelle du Christ dans un monde hostile à la vérité, mais aussi dans notre détermination, comme personnes consacrées et missionnaires, à soigner et à guérir les blessures de la violence des conflits de notre monde afin de bâtir une vraie communion universelle.
- Le courage prophétique
L’engagement prophétique implique nécessairement le courage. Le prophète est un lanceur d’alerte, c’est un avertisseur et un guetteur. Le prophète se tient toujours sur le rempart car il est un veilleur dans la cité. Cette position de garde et de veille expose souvent le prophète à l’incompréhension et au désaveu et même au sacrifice suprême. Nous pouvons évoquer ici le martyre de Jean le Baptiste, mort en martyr. Non pas un martyr de la foi – car on ne lui demande pas de renier sa foi- mais un martyr de la vérité. Il s’agit d’un homme ‘‘juste et saint’’ (Ac 3, 14), mis à mort pour sa liberté de parole et pour la fidélité à son mandat prophétique. Le Saint Père Pape François disait que « la vie n’a de la valeur que si on la donne, si on la donne dans l’amour, dans la vérité, si on la donne aux autres, dans la vie quotidienne. Si quelqu’un prend sa vie pour soi, pour la garder, la vie meurt, la vie flétrie »[1]. Le prophète Jean-Baptiste, témoin de la vérité ne pouvait dire autre chose en dehors de la vérité contemplée, de la vérité rencontrée, de la vérité annoncée et désignée comme « l’Agneau de Dieu » (Jean 1, 29).
Au-delà des adversités et des contradictions liées à son mandat de témoin de la vérité, le prophète apparait également comme un porte-flambeau, un porte-espoir, celui qui est la voix des sans voix, celui qui dit tout haut ce qui se murmure dans la société par peur de répréhension. La figure de Jean le Baptiste doit nous servir de modèle dans l’acte de notre témoignage prophétique pour une véritable communion universelle. La communion universelle demande un engagement réel de tous à la défense de la dignité humaine.
Dans son encyclique Fratelli tutti, le pape François a insisté sur l’attention que doit être portée sur les graves violations de la dignité humaine de notre époque. Il a souligné avec insistance le fait que cette dignité existe « en toutes circonstances », invitant chacun à la défendre dans chaque contexte culturel, à chaque moment de l’existence d’une personne, indépendamment de toute déficience physique, psychologique, sociale ou même morale.
La déclaration “Dignitas infinita” (sur la dignité humaine), publiée le lundi 8 avril 2024 par le Dicastère pour la Doctrine de la Foi, s’appuyant sur une analyse originale et une étude approfondie de la question de la dignité humaine dans la lettre encyclique « Fratelli tutti », parle de la dignité de tous les êtres humains comme « infinie » (dignitas infinita), en référence aux paroles de saint Jean-Paul II lors d’une rencontre avec des personnes souffrant de certaines limitations ou handicaps[2], afin de montrer comment cette valeur reconnue à tous va au-delà de toutes les apparences extérieures ou des caractéristiques de la vie concrète des personnes. Le prophète, ami de la vérité, est aussi ami de la paix.
- Le Témoignage prophétique et l’avènement de la paix
Dans son message pour la Journée missionnaire mondiale du dimanche 23 octobre 2022 sur le thème « Vous serez mes témoins » (Ac 1,8), le pape François nous rappelais que « Tout chrétien est appelé à être un missionnaire et un témoin du Christ ». « Et l’Église, communauté des disciples du Christ, n’a d’autre mission que celle d’évangéliser le monde en témoignant du Christ. L’identité de l’Église est d’évangéliser ». Ainsi donc, l’appel à témoigner du Christ par une vie chrétienne exemplaire va ensemble avec l’annonce du Christ.
Il se trouve que parfois, nous sommes appelés à témoigner du Christ dans de zones de conflits. Aujourd’hui, nous voyons tout un éventail de conflits, de guerres et de violences ; des discordes personnelles aux conflits communautaires, en passant par les troubles politiques et les guerres régionales. Et dans ce genre de contextes, nous nous posons la question sur notre rôle véritable de disciples du Christ, et surtout, ce que signifie être missionnaire et témoin du Christ dans le contexte de la violence et de la guerre ?
La véritable paix ne se fait pas seulement avec les amis mais davantage avec ceux qui sont considérés comme des ennemis. Nous devons inventer des mots qui font bouger les lignes, des mots qui libèrent, des mots qui donnent le pardon.
Lorsque le langage humain créera ses propres mots relatifs à la paix, à la concorde, au vivre-ensemble, à l’amour, alors notre humanité sera restaurée et nous pourrions à nouveau chanter l’hymne à l’amour et laisser la vie circuler en chacun de nous. Notre langage est aujourd’hui chargé de mots liés à la guerre, à la violence, à la haine, à la rancœur, à la vengeance. Le prophète, artisan de paix, est celui qui doit inventer un nouveau champ lexical dépourvu de haine et de tout discours belliciste.
Je suis souvent irrité, voire outré quand je suis à la télévision des discours tendant à attiser le feu, demandant l’envoi des armes. N’oublions pas que la violence engendre la violence. Nous devons apprendre à sortir de cette spirale et de cette logique de la guerre en voulant tout régler par les armes. Il y va de la survie de notre humanité.
J’ai l’impression que notre humanité n’a pas encore appris les leçons de Nagasaki et de Hiroshima. La logique de la guerre et de la suprématie constitue une réelle menace pour l’espèce humaine et pour notre monde suspendu aux appétits effrénés des puissances nucléaires. Tout se passe comme si l’humanité se prépare à la dernière guerre contre l’homme. Martin Luther-King disait que : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots ». Cette assertion montre à suffisance la nécessité de créer entre les différents peuples, entre les différentes nations, les conditions positives d’un vivre-ensemble. C’est ici que le concept de convivialité trouve toute sa densité, toute sa profondeur et tout son sens. Pour parvenir à cette convivialité, il nous faut nécessairement dialoguer, libérer la parole, se parler pour construire un monde fraternel, un monde de paix et une véritable communion universelle.
Notre monde a plus que jamais besoin aujourd’hui de missionnaires et témoins du Christ qui acceptent le défi de dialoguer et de prier inlassablement avec ceux qui ne cessent de créer ou d’entretenir les situations de conflits et de guerre. La nécessité de faire des disciples dans les zones de conflit ne cessera pas. Et le mandat missionnaire appelle les « disciples missionnaires », pour reprendre l’expression du Pape François, ainsi que les religieux et religieuses missionnaires, à faire des disciples de toutes les nations. Cela signifie que la communauté peut agir dans n’importe quelle situation, paix ou conflit, en utilisant l’Évangile comme fondement de paix et de fraternité.
Dans un monde où nous ne pouvons plus nous ouvrir les uns aux autres, où il devient impossible de parler à l’autre, de s’adresser à l’autre, ce monde où la parole vient à disparaître, c’est un monde de conflits, c’est un monde en guerre, c’est la guerre qui s’installe. La guerre est l’incapacité d’aller à la rencontre de l’autre en tant qu’autre, la guerre c’est l’usage de l’argument de force au lieu de se servir de la force persuasive et performative du dialogue à travers la parole pour faire bouger les lignes et faire advenir la paix et la communion universelle.
En 2013, alors que la guerre battait son plein en République centrafricaine, j’ai rencontré dans la brousse un jeune homme de 16 ans devenu ‘‘Général’’. Je lui ai parlé de l’éducation à la paix. A ma grande surprise, voire à la limite de l’étonnement, il m’a répondu: ici, quand une personne n’obéit pas, je la tue ! Quelle menace ! Mais quelle ignorance ! Quelle perdition et quelle dépravation de mœurs.
Ce jeune homme est privé d’éducation et de parole comme arme de persuasion. Il lui reste des biceps à bomber, c’est-à-dire le pouvoir de la violence[3]. La plainte de Dieu par la bouche du prophète Osée a retenti tout de suite en moi : « Mon peuple périt faute de connaissance » (Osée 4, 6). C’est pourquoi je fais ce plaidoyer, je demande au nom de Dieu et au nom de la paix, au nom de la communion universelle d’avoir le courage de faire bouger les lignes en donnant une culture de non-guerre, une culture de la paix à notre humanité ; car le prophète Isaïe nous prévient que : « Il (Dieu) sera juge entre les nations et l’arbitre de peuples nombreux. De leurs épées, ils forgeront des socs et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre ». (Isaïe 2, 4).
- Le langage de vérité au service de la communion universelle
La vraie paix ne saura être obtenue par l’unique usage de la force. La véritable paix est celle qui advient une fois les causes des conflits et des guerres sont connues. Les conflits naissent généralement des situations d’injustice systémique. La mondialisation ne doit pas être perçue aujourd’hui comme l’exclusion des moins forts, l’exclusion des plus faibles ou encore l’extinction des nations longtemps spoliées et dominées. La mondialisation doit être au contraire une chance où toutes les nations sont appelées de façon symphonique à participer au concert du bien-être et du bonheur, à l’avènement de la paix et in fine à la communion universelle. Le destin de toute l’humanité est désormais lié ; autrement dit, ce qui touche à un seul être humain doit toucher à toute l’humanité. Nous n’avons qu’une seule essence humaine. Les nombreux conflits vécus en Afrique doivent interpeller notre conscience humaine et susciter la communion universelle. A vrai dire, la construction des murs et des blocs d’alliance en occident doit rappeler la nécessité de la solidarité en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient et partout ailleurs dans le monde.
Notre monde doit avoir un langage de vérité qui milite en faveur de justice pour tous. Chaque être humain a droit à la justice et doit bénéficier des richesses que nous offre notre monde. Les guerres naissent dès lors que ce droit universel et inaliénable est foulé aux pieds.
La diplomatie internationale doit également avoir un langage de vérité valable pour toutes les nations.
La crise que nous avons connue en République centrafricaine avait certes d’abord des causes endogènes assimilées à la frustration d’une partie de la population s’estimant exclue. Des revendications légitimes ont poussé une partie de nos compatriotes à prendre des armes pour revendiquer leur droit d’accès aux structures de base de l’Etat telles que l’eau courante, l’électricité, l’hôpital, l’école, les routes, etc. Ces revendications ensuite vont très vite être instrumentalisées par certains acteurs endogènes et exogènes qui commençaient à médiatiser le conflit en lui attribuant une connotation religieuse. Heureusement la sagesse divine aidant et grâce au langage de vérité déployé, nous avons fait bloc contre cette dangereuse rhétorique qui commençait déjà à parler du conflit interreligieux entre chrétiens et musulmans en République centrafricaine[4].
La diplomatie n’est pas synonyme de démagogie ni d’hypocrisie. La diplomatie internationale doit apprendre de ses erreurs du passé et dresser des ponts de justice et d’équité entre les nations et entre les peuples pour faire advenir la paix. Je suis persuadé que tous les moyens déployés aujourd’hui dans la course à l’armement peuvent largement contribuer à anticiper sur les futurs confits internationaux en investissant dans l’éducation à la paix en vue de l’avènement d’une communion universelle.
Conclusion
Nous retenons que notre témoignage prophétique en vue de la communion universelle demande un engagement réel et authentique de tous et de chacun au service de la paix. Cet engagement ne va pas sans entraves ni sans difficultés pouvant même conduire au sacrifice suprême du prophète. Mais au-delà des
[1] Homélie du Pape François lors de la messe à Santa Marta, 8 février 2019.
[2] Saint Jean-Paul II, Angélus avec les personnes handicapées à l’Église cathédrale d’Osnabrück (16 novembre 1980) : Insegnamenti III/2 (1980), 1232.
[3] Cardinal Dieudonné Nzapalainga, Je suis venu vous apporter la paix. Le combat d’un cardinal courage au cœur de la guerre, Douala, Médias Paul, 2021, p. 85.
[4] Justin Ndema, Le dialogue islamo-chrétien en Centrafrique, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 22.
base de l’Etat telles que l’eau courante, l’électricité, l’hôpital, l’école, les routes, etc. Ces revendications ensuite vont très vite être instrumentalisées par certains acteurs endogènes et exogènes qui commençaient à médiatiser le conflit en lui attribuant une connotation religieuse. Heureusement la sagesse divine aidant et grâce au langage de vérité déployé, nous avons fait bloc contre cette dangereuse rhétorique qui commençait déjà à parler du conflit interreligieux entre chrétiens et musulmans en République centrafricaine[1].
La diplomatie n’est pas synonyme de démagogie ni d’hypocrisie. La diplomatie internationale doit apprendre de ses erreurs du passé et dresser des ponts de justice et d’équité entre les nations et entre les peuples pour faire advenir la paix. Je suis persuadé que tous les moyens déployés aujourd’hui dans la course à l’armement peuvent largement contribuer à anticiper sur les futurs confits internationaux en investissant dans l’éducation à la paix en vue de l’avènement d’une communion universelle.
Conclusion
Nous retenons que notre témoignage prophétique en vue de la communion universelle demande un engagement réel et authentique de tous et de chacun au service de la paix. Cet engagement ne va pas sans entraves ni sans difficultés pouvant même conduire au sacrifice suprême du prophète. Mais au-delà des adversités inhérentes à sa mission, le prophète est un homme de foi qui sait compter sur Dieu et qui garde toujours allumée la flemme de sa foi afin de pousser les autres à redécouvrir la proximité providentielle, aimante et rassurante de Dieu.
La communion universelle n’est possible que lorsque notre humanité prenne conscience que nulle ne doit être abandonné au bord du chemin (Lc 10, 25-37: le bon Samaritain).
Le témoignage prophétique demande que la Bonne Nouvelle soit toujours annoncée à temps et à contre temps à notre monde déchiré par les conflits et exposé aux idéologies nouvelles. Finalement, le prophète est l’ami de la vérité et il ne se lasse jamais de la chercher et de l’annoncer.
[1] Justin Ndema, Le dialogue islamo-chrétien en Centrafrique, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 22.