La mission en Europe a-t-elle quelque chose de particulier? L’Europe du 21e siècle, en particulier l’Europe occidentale, accueille de plus en plus de personnes de tous les continents, de diverses cultures et religions. Dans ce contexte, les repères se brouillent parfois mais les expériences s’enrichissent les unes par les autres. L’Église en Europe est partie prenante de ce mouvement transnational, qu’elle connait en fait depuis toujours. Les frontières politiques à ses yeux sont des réalités qui sont appelées à être dépassées: l’Église annonce le Royaume, le rassemblement des nations.
Mais concrètement, les accueillants comme les accueillis n’ont pas toujours les clefs pour se comprendre et s’épauler dans des situations inédites. Ce qui manque peut-être le plus aux uns et aux autres, c’est de sortir de l’illusion que la foi se vit comme un en soi, en dehors des cultures. La foi transcende les cultures mais ne se vit pas sans elles!
Or les cultures de l’Europe contemporaine sont profondément marquées par la sécularisation, au sens où la religion n’est plus une donnée sociale et culturelle partagée. La foi se vit plutôt à l’intime, ou en privé comme dans certains cercles familiaux, les mouvements et les paroisses. Elle est aussi en perte de vitesse si l’on se réfère au nombre des baptisés et des personnes engagées dans la vie de l’Eglise et dans sa mission.
Pourtant le marquage des lieux reste très christianisé: la toponymie, le nombre important d’édifices religieux, les calvaires, les statues marquent l’espace.
Pour les missionnaires venant en Europe il n’est donc pas très facile de se repérer! L’Europe qui a valeureusement porté l’Évangile sur tous les continents est-elle en train de renier ses racines, sa fierté, son âme? Qu’est-ce qui est permis, interdit, pour un missionnaire, au plan de l’annonce de sa foi?
Le missionnaire peut chercher quelques clefs pour mieux servir:
1e clef: De quelle Europe est-il question ?
L’Europe est une réalité complexe. C’est un continent tout en contrastes, en nuances. Au plan religieux, tout d’abord, des pays de tradition catholique (Espagne, Italie, Malte, Pologne, Belgique, Irlande) côtoient des pays majoritairement orthodoxes (la Grèce, la plus grande partie de l’Europe de l’Est) ou marqués par le protestantisme (Angleterre, Allemagne, Scandinavie, Norvège, Danemark, une grande partie des pays au Nord de l’Europe). Le judaïsme a lié une grande partie de son histoire avec l’Europe, pour le meilleur et pour le pire; l’islam et le bouddhisme sont en croissance dans bon nombre de pays européens. La mission ne se vit pas de la même manière dans des contextes marqués par telle ou telle confession et religion. En effet, la religion draine avec elle des cultures, des modèles sociaux, une histoire.
Il est important de se demander comment nous délimitons l’Europe lorsque nous l’évoquons: par les racines chrétiennes, par les frontières géographiques, par l’histoire, la politique, l’économie, la culture gréco-latine, les idéologies? Il est encore plus intéressant de repérer nos préjugés sur l’Europe, à partir de nos expériences, de nos rêves, de nos peurs, des médias, etc.
Il existe de forts contrastes entre les images de l’Europe et ses réalités. Par exemple, l’Europe connaît une grande tradition d’accueil et des replis identitaires meurtriers; la science a désenchanté le monde et de nouvelles spiritualités éclosent, qui peuvent être des passerelles entre les contemporains; des ministères de l’écologie et des militants de l’écologie intégrale côtoient des gaspillages insolents. On constate une baisse de la natalité, voire un rejet de la procréation, un vieillissement de la population, un repli sur soi et un engagement très fort pour l’accueil de migrants de diverses religions, une grande générosité pour l’adoption d’enfants, des initiatives solidaires inédites. La liste serait longue.
L’Europe, c’est aussi des espaces où se vivent dialogues et collaborations, dans un contexte de déchristianisation et de laïcité. En 2006, une rencontre de l’IAMS Europe s’interrogeait sur l’Europe après les Lumières. Oser la mission dans une Europe qui se construit. La rencontre montrait ce qui a été rendu possible par les Lumières: l’universel, la liberté, la mutation des relations sociales, l’appel au bonheur, la dignité et les droits de l’homme, la solidarité, des espaces publics ouverts, une culture du dialogue (dialogue religieux, social, entre hommes et femmes), une approche critique de la religion, qui a permis les récentes enquêtes et réparation des abus sexuels et des emprises.
Mais aussi la valorisation du progrès à tout prix a causé bien des injustices sociales; le mépris de la religion a causé un réel traumatisme pour les Églises (exécutions de personnes, de communautés entières, exils, spoliations de biens); il est difficile de comprendre la complexité législative, on peut se sentir démuni devant l’abus de pouvoir des «laïcards» qui veulent déchristianiser les esprits et les espaces; le règne de la subjectivité et de la liberté sans frein trouve ses propres limites.
Chacun peut essayer de se rendre attentif à quelques contrastes qui l’interrogent. C’est peut-être à leur croisement que le missionnaire est appelé à se tenir, pour aider l’Europe à retrouver ses forces de vie, d’espérance, d’hospitalité, de fraternité, qui ont fait son renom pendant des siècles.
2e clef: Quelle mission?
La mission en Europe est active et pluriforme. Elle va de la nouvelle évangélisation à l’action sociale dans des réalités très diverses (accueil des migrants, service des malades, éducation des jeunes, gens de la rue, et tant d’autres réalités). Il s’agit de combiner le service de la foi (paroisse, mouvements, évangélisation) et le service effectué au nom de la foi.
Dans une Europe sécularisée, l’espace social n’est pas régi par la vie religieuse, même si des traditions religieuses demeurent (les jours fériés, le repos le dimanche); il est régi par les lois du travail et de la citoyenneté. Comment alors affronter l’ambiguïté de la mission dans le monde du travail? Parler de sa foi est vite dénoncé comme un prosélytisme, au moins en France, au nom de la laïcité, alors que la liberté de croire, de s’exprimer et de parler de sa foi est un droit en France comme dans beaucoup de pays d’Europe. La laïcité signifie le respect de toutes les croyances, non leur abolition! La question des signes religieux varie d’un pays à un autre, et il importe de bien se documenter.
Le relativisme et le pluralisme sont la règle dans la vie sociale. L’annonce missionnaire ne peut pas s’effectuer sans assumer les scandales du passé et du présent, ni sans respecter les convictions des non croyants ou celles des croyants d’autres religions.
3e clef: Comment valoriser les richesses culturelles respectives?
Les instituts missionnaires internationaux sont une chance pour la mission en Europe. Comment valoriser les cultures de l’accueil, de la relation, de la patience? Comment échanger nos richesses respectives dans les domaines de la formation, de la pastorale, dans l’apprentissage des espaces de mixité proposés en Europe (mixité sociale, recherche œcuménique et interreligieuse, brassage des cultures, des genres…)?
Les textes qui vont suivre nous font entrer plus en profondeur dans la compréhension de la mission en Europe, en deux temps. Dans le premier temps, les textes de Christian Tauchner, SVD, Directeur de Mission Institute, Sankt Augustin, Allemagne, et de Timothy Radcliffe, ancien maître de l’ordre des Frères prêcheurs, nous aident à décrypter la complexité de la mission dans une Europe sécularisée. Le second temps propose quelques éclairages de mises en pratique dans divers domaines où se joue la transmission: l’éducation, avec Mr. Lieve Boeven, directeur général de l’Éducation Catholique en Flandres, en Belgique; la Nous allons ainsi rencontrer de nouvelles formes de mission, qui se cherchent en collaboration. Leur but est que nos contemporains, dans un contexte parfois anxiogène, découvrent la joie de se tourner vers Dieu, la source de la joie et de la paix profondes. C’est à un véritable «pèlerinage de la confiance» que le numéro nous invite.spiritualité du soin, avec Sr. Kristina Wolf, des Medical Mission Sisters, Frankfurt (Allemagne), qui depuis 2007 est membre d’une équipe de Holy Cross – Center for Christian Meditation and Spirituality à Frankfurt, Diocèse de Limburg; le catéchuménat en France, à Vaulx-en-Velin, une paroisse en périphérie de Lyon (France), avec Sr. Rose Quansah, OLA, and Fr. Dieudonné Baloitcha, SMA; l’œcuménisme vécu avec des jeunes: l’expérience sur la colline de Taizé, avec Frère Jean-Marie et Sœur Agnès Granier, responsable générale des religieuses de Saint André.