L’histoire des martyrs d’Algérie du 20ème siècle dont font partie les 4 Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) n’est pas qu’une histoire de haine dont les protagonistes seraient des musulmans qui font souffrir des chrétiens. C’est une histoire de fidélité et d’amour pour un peuple dont le fondement se trouve dans le désir du missionnaire de toujours aimer comme le Christ et, comme Lui d’aimer jusqu’au prix de sa vie. C’est en effet autour du symbole du pélican, cet oiseau qui offre sa vie pour ses petits, que se comprend le drame vécu un 27 décembre 1994 par Christian Chessel et ses trois confrères Alain Dieulangard, Jean Chevillard et Charles Deckers. Ce don de leur vie était le couronnement d’une longue formation et d’une vie vécue à l’école de leur fondateur le cardinal Lavigerie dont les paroles et les pensées étaient devenues désormais les leurs : « j’ai tout aimé de cette Afrique », ou encore : « des saints, je veux des saints ! Donnez-moi des saints, et j’en ferai des martyrs » ; « Je vous aime, comme des fils, même si vous ne me reconnaissez pas comme votre père » disait une fois Lavigerie aux enfants musulmans.
Qui sont-ils ces quatre Pères Blancs qui ont donné ce témoignage du plus grand amour ?
Christian Chessel
Parmi les 19 bienheureux martyrs de l’Algérie, Christian Chessel était le plus jeune, car il n’avait que 36 ans lors de leur assassinat le 27 décembre 1994. Il est né le 27 octobre 1958 d’une famille française de classe moyenne (son père était gendarme et sa mère enseignante) et d’une fratrie de 3. Christian a passé son enfance et ses années de lycée à Antibes avant de rejoindre Lyon où il obtint un diplôme d’ingénieur en génie civil. En 1981, il part en Afrique pour deux années de coopération. A son retour en France il entendit l’appel à devenir prêtre. Il rentra au séminaire d’Avignon. Mais deux ans plus tard cet appel se précise pour une vocation missionnaire en Afrique et plus particulièrement dans le monde musulman. C’est ainsi qu’il contacta les Pères Blancs et commença sa formation avec eux en 1985. Après son stage, Il écrit : « Je suis de plus en plus heureux d’être en Algérie et je réalise combien le fait d’apprendre une langue et de vivre dans un pays peut vous y attacher » . Au bout de ce temps de stage Christian est nommé en Angleterre pour ses études de théologie. En 1991 il arrive à Rome, à l’Institut Pontifical des Etudes Arabes pour approfondir sa connaissance du monde musulman. C’est au cours de ce séjour romain qu’il fait son serment missionnaire le 26 novembre 1991, la main droite posée sur les feuillets d’un évangile de Saint Jean en langue arabe, retrouvés sur la dépouille du P. Louis Richard assassiné lui aussi dans le Sahara en 1881. A peine une année plus tard, le 28 juin 1992, Christian est ordonné prêtre à Nice et envoyé en mission à Tizi-Ouzou. A son arrivée à Tizi, il se lança avec enthousiasme dans le projet d’une bibliothèque universitaire pour les étudiants de la ville. Ce projet le rendait si heureux au point qu’après son assassinat une algérienne écrit ces lignes à ces parents : « Sachez que pendant ses derniers jours Christian était heureux. Il respirait la joie. Il avait pu mettre en route le projet si cher à son cœur, de construire une bibliothèque destinée à tous les jeunes, filles et garçons, de Tizi-Ouzou… »
Tous ceux qui ont connu Christian sont unanimes sur ses belles et nombreuses qualités : « c’est un homme de grande maturité, son jugement est droit, réaliste et nuancé ; il est d’une extrême serviabilité, avec un grand souci des autres ; c’est un homme de prière et de foi »
Cependant, pour mieux connaître Christian il faut lire ces deux méditations sur la compassion et la faiblesse dans la mission . Là on découvre l’homme, le missionnaire, l’ami du Christ et de l’humanité. Pour lui, « Une des approches possibles de la mission en monde arabo-musulman est de la considérer sous l’angle de la faiblesse » Cette faiblesse est à la fois une louange au Dieu incarné qui, le premier, entra en dialogue avec notre humanité, et un langage du dialogue et de l’annonce. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un jeune de son âge, intelligent, plein de vie et de force, Christian Chessel était pour une missiologie humble, basée sur « une spiritualité des mains vides, où l’on comprend que tout, jusqu’à nos faiblesses mêmes, peut devenir don et grâce de Dieu, manifestation de la puissance de son amour qui, seule, peut convertir la faiblesse humaine en force spirituelle »
Enfin, ce que je trouve encore beau chez lui est cette conviction que les relations dans la mission doivent êtres des relations de non-puissance. Cela est vrai dans la mission arabo-musulmane, mais elle est vrai aussi partout où l’on veut semer dans les cœurs des personnes les grains du royaume de Dieu.
Jean Chevillard, il ne fait pas des chrétiens, mais il conduit les hommes à Dieu !
Jean Chevillard est issu d’une grande famille très catholique ! Cinquième de cette belle famille, Jean est né le 27 août 1925 à Angers. « A 7ans, il parlait déjà de vocation ; à 12 ans, la rencontre avec un Père Blanc (le Père Lecoindre) éveilla sans doute sa vocation missionnaire » . En 1941, en pleine seconde guerre mondiale, alors qu’il n’avait que 16 ans, il rejoint clandestinement la zone libre pour commencer sa formation chez les Pères Blancs. Il prononça son serment missionnaire le 29 juin 1949 et fut ordonné prêtre à Carthage le 1er février 1949 à l’âge de 24ans. Depuis lors il passera l’essentiel de sa vie missionnaire en Algérie comme responsable de centre de formation professionnelle, supérieur régional et économe régional.
Jean était un homme de devoir avec un grand sens de responsabilité et d’initiative. Pierre Georgin qui fut son supérieur disait : « ce sérieux de l’homme de devoir, je l’ai trouvé chez lui à un degré qui touchait à l’héroïsme. »
Tous ceux qui l’ont connu, sont unanimes, c’était un chef-né, « un homme de caractère, avec une autorité naturelle servie par une voix puissante » ! C’était un bon vivant qui aimait blaguer et rire ! Il avait beaucoup de connaissances aussi bien dans les administrations algériennes que parmi les petits gens du peuple. C’est ainsi qu’il pouvait être la voix des sans voix : les veuves, les orphelins et les personnes âgées affluaient sans cesse dans son bureau social pour chercher son assistance face à leurs impasses administratives. Chaque personne comptait à ses yeux et il savait donner du temps à chacun. Au soir de sa mort, un de ses frères disait : « je le croyais proche de moi, je le découvre proche de tous » ! Un de ses anciens élèves disait : Jean était un « Homme simple, dévoué à Dieu, il avait une grande pitié à mon endroit parce que j’étais faible et maladif ; un jour il m’a offert le voyage Alger-Mosta par le train, aller-retour, pour passer les vacances en famille. C’était un homme très bon, comme seuls peuvent l’être les hommes fidèles à Dieu… C’est depuis cette époque de mon stage à El Harrach que j’ai gardé un saint respect pour le christianisme. Je sais que le Père Chevillard a sacrifié sa vie à Dieu »
Homme de compassion, il avait aussi de l’impact positif sur les personnes qu’il rencontrait. Un algérien écrit après sa mort : « Le Père Jean n’a pas fait de moi un chrétien, mais il m’a conduit à Dieu sans me prendre par la main, sans m’en parler dans le langage propre aux hommes de religion. Il m’a suffi de le regarder vivre et de méditer sur sa conduite pour me convaincre que la bannière de Dieu est une, quelle que soit la couleur que lui donnent les hommes ici ou là, et j’ai pu exorciser le mal qui m’habitait. Ma raison et mon jeune cœur se sont inclinés devant cette droiture et cette extrême bonté que je ne soupçonnais pas chez les “ autres ”. »
Enfin, tout en lui montrait l’infatigable missionnaire. Malgré le danger des années noires, il parcourrait les montagnes de la Kabylie pour dire la messe à 2 ou 3 chrétiens. Bien qu’il se savait exposé, il disait toujours :
« je sais que je peux mourir assassiné. Mais notre vocation, c’est de témoigner de la foi chrétienne en terre musulmane. Pour le reste, ‘insha’allah’. » Comme ses compagnons sa vie a été l’Evangile proclamé au cœur du peuple algérien !
En septembre 1994, quelques mois avant son assassinat, alors qu’il s’apprêtait à retourner en Algérie, une de ses sœurs lui demandait : « pourquoi retournes-tu là-bas ? » il répondit « Je retourne là-bas pour témoigner : là-bas, c’est chez moi, près de mes amis berbères. Surtout si je meurs je veux être enterré là-bas ». Et sa sœur d’ajouter : « j’espère que tu ne seras pas le deuxième martyre de la famille » ! Et en effet, Jean fut le deuxième martyre, à la suite de son aïeule Françoise Menard, assassinée elle aussi un 27 avril 1794 à cause de sa fidélité au Christ en plein milieu d’une guerre civile française.
Charles Deckers , l’homme du dialogue et de la charité jusqu’au bout !
Issu d’une grande famille chrétienne d’Anvers, Charles Deckers est né le 26 décembre 1924. Il rentre chez les Pères Blancs en 1941. Il fait son serment la même année que Jean Chevillard et Alain Dieulangard, le 21 juillet 1949. Il est ordonné prêtre une année plus tard le 08 avril 1950. Comme Jean Chevillard, il souhaitait lui aussi être nommé en Afrique noire, mais il reçut une nomination pour le Maghreb. Pour se préparer à cette mission il étudia l’arabe et l’islamologie à Tunis. En 1955 il arrive à Tizi-Ouzou et se met avec succès dans l’apprentissage du berbère.
Depuis son temps de formation jusqu’à sa mort, tous ceux qui ont connu Charles disent que c’était un homme doux et calme ! Grand travailleur et tenace : il était imperturbable lorsqu’il avait une idée dans la tête ! Mais sa plus grande qualité restera sans doute son dévouement extrême, sa générosité, et son sens du sacrifice pour l’autre !
Homme généreux, il était aussi un missionnaire obéissant : malgré son grand amour pour l’Algérie et les montagnes de la Kabylie, et son ancrage bien accepté dans l’association el-Kalima, en juin 1982 il accepta l’appel de ses supérieurs pour faire partie de la communauté des Pères Blancs au Yémen. Notre Supérieur qui lui avait donné cette nomination dit ceci à propos de Charles : « quand je l’ai connu, il était précédé d’une réputation d’homme de prière, ce que j’ai pu constater ensuite par moi-même. Il était d’une générosité totale… »
C’est avec ce dévouement et cette générosité qui lui sont propres qu’il s’engagera toute sa vie pour le dialogue entre les religions et les cultures.
Pour lui, le dialogue était une démarche à la fois spirituelle et pratique. Ce qui fait qu’on trouvera chez lui très peu de textes ou d’écrits. Armand Duval nous a rapporté ce témoignage du Père Emilio Platti à son sujet : «À El Kalima, le Père Charles Deckers avait amené un peu de l’Algérie par laquelle il s’était laissé apprivoiser… L’essentiel n’était pas pour lui dans l’étude et l’information, qu’il prodiguait avec compétence dans des sessions. L’essentiel était dans cette relation humaine qui rapproche et lie d’amitié les hommes entre eux.» C’était un homme de terrain avec un grand engagement auprès des personnes. Toutefois il reconnaissait aux études leurs valeurs et leurs places dans la préparation du missionnaire. « Le dialogue, écrivait-il lui-même, comme toute démarche spirituelle, ne s’improvise pas ; il se prépare sérieusement. » Ou encore : « Avant d’entrer en contact avec celui vers qui on sera envoyé, il faut connaître sa culture artistique, littéraire, ses coutumes, ses façons de vivre, alors seulement peut commencer le véritable dialogue. »
C’était un homme soucieux non seulement d’être pont entre les religions, mais soucieux également d’aider ses coreligionnaires et compatriotes à être eux aussi ponts de rencontres et de dialogues. Pour lui, disait-il, « La culture musulmane nous apportait beaucoup et dans la mesure où notre vie chrétienne était significative, nous étions en mesure de faire tomber de nombreux préjugés. »
Les sœurs Clarisses qui l’ont connu à Notre Dame d’Afrique sont unanimes : « Le Père Deckers était d’un dévouement sans pareil ; il ne savait pas refuser. Que de jeunes étudiants, que de personnes diverses, de l’Afrique noire ou d’ailleurs, venaient sonner à la porte des Pères Blancs, à Notre-Dame d’Afrique ! Le matin nous avions la messe à six heures trente. Six heures trente, pas de Père… et, un instant après, il entre en coup de vent et s’excuse : “Voilà, au moment de partir, on est venu pour un conseil, un réconfort, ou bien il fallait vite accompagner un pauvre type à l’aéroport, et après filer dare-dare au monastère.” (…) « Un jour, comme il faisait très froid, la prieure lui donne un beau pull-over, tout neuf et bien chaud. Il remercie. Le lendemain, le temps n’est pas meilleur et le Père arrive, en chemisette : “Mais Père, vous n’avez pas mis le pull. – Un pauvre garçon en avait bien plus besoin que moi !” Lui-même revenait de vacances, chargé de paquets ; il voulait rendre service à tous et ne refusait rien ; dans son auto, il avait à peine la place où s’asseoir. »
Comme ses compagnons martyrs, Charles était conscient de la situation de terreur qui régnait en Algérie dans les années 90. Mais il avait lui aussi choisi de rester. A un ami, il disait : « Je sais que mes activités sont dangereuses pour ma vie. Mais ici est ma vocation, je reste » « Nous mettons toute notre confiance en celui qui tient dans ses mains la destinée de tous les hommes » « partir, ça sera de la lâcheté alors que tant de gens souffrent » « Par notre présence, nous souhaitons être des témoins et non des prêcheurs » ! Il a été en effet ce témoin de l’amour jusqu’en ce jour fatidique du 27 décembre 1994 quand il fut assassiné.
Alain Dieulangard , chercheur de Dieu qui s’abandonne totalement en Lui !
Alain est né le 21 mai 1919 à Saint Brieuc dans les Côtes d’Armor. Il est issu, lui aussi, d’une famille très pieuse qui donnera 5 de ses enfants, sur les 10 qu’ils étaient, à la vie religieuse. Et pourtant, rien pendant l’enfance d’Alain ne présageait une vocation missionnaire. C’est seulement après ses études de droit qu’il demandera à entrer chez les Pères Blancs en 1943. Il fait son serment à Thibar le 29 juin 1949 et est ordonné prêtre le 1er février 1950.
Alain rêvait lui-aussi d’être envoyé en mission en Afrique subsaharienne, plus spécialement en Ouganda. Mais c’est en Algérie qu’il fut nommé par ces supérieurs. Cela supposait 4 années d’études supplémentaires de l’arabe et du kabyle. Il écrit lui-même : « J’aurais préféré la mission en Afrique noire, mais puisque la Providence m’envoie ici, c’est la Kabylie que je dois désormais préférer… C’est d’ailleurs un pays magnifique et les Kabyles sont certainement très sympathiques… La seule chose qui m’effraie un peu, c’est cette perspective de quatre années d’études (au minimum) qui m’attendent à partir d’octobre (deux ans à la Manouba, Tunis, et deux ans au Centre d’Études Berbères, en Kabylie). J’espère au moins ne pas avoir à les redoubler toutes… ! Enfin, l’essentiel est de se donner tout entier au Bon Dieu là où Il le veut et comme Il le veut… »
Avec cet esprit d’abandon total à la volonté de Dieu qui le caractérisait, il passera les 44 années restantes de sa vie en Algérie, et plus particulièrement dans les montagnes de la Kabylie. Il a enseigné et dirigé des écoles à Djemaa-Saharidj, aux Ouadhias, à Béni-Yenni, Aïn el-Hammam et Azazga jusqu’à la nationalisation des écoles dans les années 1976. C’était également un homme donné à la communauté chrétienne car il assurait la catéchèse aux enfants, et les visites aux anciens chrétiens qui ne pouvaient pas quitter le pays.
Comme personnalité, Alain était peu bavard, discret et souvent en retrait ! Depuis sa formation, il avait reçu de ses condisciples le surnom de « grand-père », peut-être à cause de sa vocation tardive. Il avait fait des études de droits avant de rentrer chez les PB. Mais comme disait l’un de ceux qui l’avaient bien connu, si on l’appelait « grand-père » depuis sa jeunesse, c’est bien parce qu’il en avait aussi la tendresse. D’ailleurs, c’est ce que confirme une religieuse qui l’a bien connu : « Il fait partie de ceux qui ont tout donné à Dieu et aux hommes. Son sourire rayonnant nous dit la transparence de son âme. Le travail de tels apôtres continue bien au-delà de leur vie terrestre… »
Alain était à la fois un homme doux et profondément spirituel ! C’était un prêtre à la fois missionnaire et mystique. Amar, un témoin, rapporté par Armand Duval, disait : « Quand le Père Alain commence à me parler de Dieu, je me rappelle qu’il ferme les yeux, et, avec douceur, il lâche ses mots à voix si basse qu’il me faut tendre l’oreille : “Il faut aimer Dieu notre Père, notre refuge et notre vie, en aimant aussi nos frères dans le Seigneur Jésus Christ” ; c’est ce qu’il nous répète sans cesse. »
Alain était un vrai chercheur de Dieu, toujours désiré de passer plus de temps dans le silence et le recueillement. Il y eut même un temps où il a fortement pensé à se retirer dans la vie contemplative. Mais Jean Chevillard qui était son supérieur à l’époque l’a convaincu que la vie contemplative était un « trop grand luxe » pour le dévoué apôtre qu’il était ! Revenu sur le terrain il gardera toujours cette soif d’une vie spirituelle plus profonde. On retrouve souvent chez lui cette phrase : « continuez à prier pour ma santé spirituelle (l’autre étant sans problème) » ou encore, comme dit Armand Duval, « quand il parle d’« une petite santé qui se porte à merveille » il ajoute … « s’il pouvait en être de même au plan spirituel.»
Pour moi, il était le soufi du groupe, le missionnaire à la fois mystique et actif, peu bavard ! On avait l’impression qu’il priait dans l’action. Une autre religieuse chez qui elle disait la messe témoigne : « Après la lecture de l’Évangile, il s’asseyait, se ratatinait sur lui-même et prononçait quelques paroles presque inaudibles ; c’était un dialogue avec le Seigneur. »
Un aspect très particulier chez Alain qu’on ne retrouve pas chez ses confrères de communauté ou même chez les Pères Blancs d’une façon générale, est son engagement dans le renouveau charismatique avec les chrétiens algériens. Il ne prêchait pas sur les routes, mais il accueillait bien volontiers ceux et celles qui voulaient connaître Jésus Christ et embrasser sa façon de vivre. Il en a accompagné au baptême, et il avait le souci de leur formation.
C’est un apôtre qui était tout donné à Dieu et aux autres. Une fois, à la fin d’une célébration de sacrements pour les néophytes, lorsqu’on lui donna la parole à la fin, il dit : « Seigneur, maintenant, vous pouvez rappeler votre serviteur ». Il paraît que le jeune Chessel était présent à cette célébration ; et il ajoute après Alain : « Quant à moi, je veux mettre mes pas dans ceux du Père Alain ! »
Conclusions
Il serait difficile de terminer cette présentation sans se poser la question que se posent beaucoup de gens qui apprennent l’histoire des martyres de Tizi-Ouzou. Qu’est-ce qu’il y a de commun entre ces 4 missionnaires ? Ou encore cette question fondamentale : pourquoi rester alors qu’ils pouvaient bien partir, et se mettre à l’abri quelque part ailleurs ?
Ce qu’il y a de commun entre ces apôtres de l’Amour, c’est la passion pour Dieu et pour l’Homme ! Ils avaient, dans leur diversité de caractères et de tempéraments, hérités et réalisé ces paroles fondamentales de Lavigerie : « j’ai tout aimé dans notre Afrique » ! Et c’est là précisément que se trouve aussi la réponse à la question : pourquoi sont-ils restés. Car lorsqu’on aime quelqu’un, on l’aime entièrement, dans le bonheur comme dans le malheur ! D’une façon plus profonde, ils ont fait ce que le Christ lui-même aurait fait s’il était physiquement à Tizi-Ouzou, i.e. rester auprès de ce peuple que Dieu aime.
Ils ne prétendaient pas du tout à être des héros ! Ils voulaient tout simplement vivre leur foi au milieu de ce peuple qui souffrait. Et leur foi était l’amour, amour de toute personne même s’il fallait en souffrir : « Aimez, [Aimez] quoi que vous en ayez souffert, quoi que vous puissiez en souffrir encore » disait notre fondateur Lavigerie.
Au-delà de l’amour passionné et fou pour l’Afrique on peut noter chez eux, comme chez tous les missionnaires qui s’engagent sur le chemin du dialogue, un autre héritage de Lavigerie : un profond respect pour la conscience et la religion de l’autre : « A aucun degré, leur disait Lavigerie, je ne veux ni de la force, ni de la contrainte, ni de la séduction, pour amener les âmes à une foi dont la condition première est d’être libre. » Christian Chessel l’avait bien compris puisqu’il dit lui aussi : « Mon [ministère de prêtre missionnaire], s’il veut être un ministère de service de Dieu et de service des hommes, ne peut que s’enraciner dans un respect profond des consciences, des valeurs, des cultures, comme de l’histoire propre de chacun.
Partir en mission, c’est d’abord apprendre à quitter ses sandales devant la terre sainte que représente l’autre ; c’est apprendre que le serviteur n’est pas plus grand que son maître (Jn 13, 16). »