La violence due à l’organisation sociale, telle que nous SMA l’avons vécue dans le nord du Nigeria et en Afrique de l’Est, n’est plus un événement ponctuel ; elle n’est pas davantage située seulement aux périphéries de la réalité africaine d’aujourd’hui. Elle est souvent au cœur du ministère dans lequel nous sommes appelés à nous engager au nom de Jésus et par notre charisme.
Les témoignages que nous entendons de toutes parts sont interpellant. Ils sont parfois difficiles à écouter et à assimiler. L’est plus encore, notre propre expérience de la violence sur le terrain ! À un certain niveau, nous sommes confrontés à des questions pratiques – que devrions-nous dire ? Que pouvons-nous faire ? Comment puis-je être présent ? Où puis-je trouver la force intérieure pour travailler avec les victimes de violences dues à l’organisation sociale ? Quels changements, à long terme, l’exposition à ces situations de stress intense entraînera-t- elle en moi ? A un niveau plus abstrait, on se demande : qu’est-ce qui peut expliquer la volonté des êtres humains de cibler sans discernement d’autres groupes ethniques ? D’après notre expérience en matière d’assistance, nous savons que la violence fait des ravages aussi bien sur l’agresseur que sur la victime. En dépit de ce que nous avons vu, nous nous demandons si les auteurs ont laissé leur humanité derrière eux ? Que s’est-il passé ?
Cet article est une tentative visant à surmonter la violence que nous voyons, prendre conscience de nos propres manquements et proposer les changements que ces situations provoquent en nous.
Ma propre expérience au Nigeria
Voici une illustration qui pourrait vous rappeler une expérience pastorale que vous avez pu avoir. Il faisait nuit et je dormais. Vers trois heures du matin, mon portable sonne. La personne au bout du fil était un paroissien. Vu l’heure, je m’apprêtais à recevoir de mauvaises nouvelles, et j’avais raison. Le message était simple : « Nous avons été attaqués dans notre village et sept hommes sont morts, c’est terrible ! » Silence ! Puis il poursuit : « J’appelle juste pour vous le faire savoir, je sais que vous ne pouvez pas venir maintenant. Si Dieu nous le permet, nous nous reverrons demain matin. » Un petit échange de mots puis nous avons terminé avec notre habituel au revoir nocturne : « Que Dieu nous garde jusqu’au matin. »
Comme vous pouvez l’imaginer, après cela je n’ai pas pu dormir, et à l’aube, nous étions tous réunis dans le village où les tueries avaient eu lieu. En entrant dans le village, j’ai rencontré des enfants, dont certains n’avaient que cinq ans. Ils portaient des petites pierres dans leurs mains et j’ai compris pourquoi. Ils étaient prêts à se défendre. Mais que pouvaient faire ces petites mains et ces pierres ? Je me demandais où ils avaient été toute cette nuit. Je me sentais aussi désespéré que ces petits enfants. Habituellement, j’arrive à me retenir de pleurer à la vue des blessures causées par les machettes et les coups de feu. J’arrive à retenir mes larmes, même en voyant des cadavres couverts de sang gisant sur le sol dur, mais ce moment était différent. J’ai pleuré.
Plus tard, j’ai appris que même des bébés avaient été blessés au cours de cette horrible attaque. C’était comme si tout était couvert de sang. J’ai vu un matelas imbibé de sang sur le sol en ciment. J’étais incapable d’absorber toutes les images de sang versé. J’ai entendu les cris des femmes et j’ai vu le désespoir dans tous les yeux. En essayant de marcher, mes pas sont devenus faibles et ma gorge s’est soudain enrouée.
Il n’y avait rien que je puisse dire, ou même penser à dire. Beaucoup d’images me passaient par la tête : les mariages et les baptêmes que nous avions célébrés dans une grande liesse, les merveilleuses chansons et danses dont nous avions profité une semaine plus tôt (certains de nos meilleurs chanteurs et danseurs avaient été les victimes), les plans que nous avions faits pour l’avenir, et beaucoup plus.
Incapable de savoir ce qui allait suivre, le frère de l’une des victimes m’a conduit vers d’autres lieux où l’attaque avait eu lieu et m’a montré quelques-unes des traces visibles. J’ai entendu une dame dire en larmes : « Et tout ce qu’on nous dit, c’est de pardonner. » Dieu merci, quelque chose m’a empêché de prononcer la moindre platitude pieuse. J’étais sous le choc et le temps s’était arrêté. Dans mon long silence, j’ai été surpris quand quelqu’un d’autre s’est adressé à moi en disant : « sois fort ! »
Avec le « sois fort ! », j’ai réalisé que nous étions embarqués tous ensemble dans cette horrible expérience. Nous avions tous mal. La vérité est que je n’ai pas eu à chercher des mots de consolations. Ma présence suffisait, et tout était dit. J’espérais juste que ce que je ressentais était vrai, que tout comme je me sentais consolé par ces mots, la foule traumatisée était également consolée par ma présence silencieuse.
L’ironie est que, celui qui m’a consolé, c’est quelqu’un qui ressentait une douleur encore plus profonde que moi. Pour vous épargner les événements traumatisants qui ont suivi, il suffit de dire que cette situation a éveillé en moi une nouvelle compréhension ; notamment, qu’il y aura toujours quelque chose à partager, même s’il ne nous reste que notre conscience et notre volonté de partager.
Vue d’ensemble
Mon expérience n’est pas unique. Le terrorisme, de tous bords et de toutes couleurs, est devenu un phénomène mondial. Il est en opposition directe avec les valeurs évangéliques. Plus précisément, la persécution des chrétiens devient rapidement omniprésente à notre époque. Ces derniers temps, dans le contexte nigérian, nous avons entendu parler de 21 tués, 26 tués, 52 tués, et ça n’en finit plus.
Une fois, dans le nord du Nigeria, 202 personnes ont été tuées et leurs maisons incendiées. Les fermes et les approvisionnements en céréales ont également été ciblés. Ce ne sont pas seulement des chiffres mais des personnes individuelles, chacune avec une histoire et un rêve. Ce sont des gens avec qui nous avons vécu, travaillé et aimé. Bien sûr, vous ne l’apprendrez pas par les nouvelles internationales. Si vous y arriviez, vous n’obtiendriez aucun détail vous racontant comment le sang a été volontairement versé par les tueurs, accompagné de mots tels que : « Laissez-les boire le sang de leur propre peuple. »
Après un autre incident, j’ai rencontré une veuve qui avait perdu cinq fils. Elle m’a demandé comment elle était censée continuer à faire confiance et à prier. Avec un grand soupir, elle a dit : « Je suis fatiguée ! » Lorsque ces choses arrivent, ceux qui restent en vie doivent pleurer, imaginer une voie à suivre et continuer à vivre. Mais comment ? On attend toujours que l’autre chaussure tombe, que la violence éclate à nouveau.
À moins que nous ne posions des questions cruciales et significatives
Qui sont les tueurs et pourquoi tuent-ils ? La réponse des analystes politiques est qu’il s’agit de Boko Haram et/ou de bergers Peul. Cela pourrait très bien être vrai ; cependant, je pense que les étiqueter, c’est vraiment les mettre de côté, les transformer en objets et laisser des questions sans réponse à propos de leur réalité d’êtres humains. Bien que cet étiquetage puisse répondre aux besoins des analystes sociopolitiques, il ne répond pas au préalable des préoccupations des porteurs de l’Évangile. Il faut cependant dire que tuer au nom de Dieu révèle que quelque chose ne va pas, ni avec notre image de Dieu, ni avec ce que nous sommes en tant que ses créatures. Quel que soit le côté de la fracture où nous choisissons d’être, toutes nos différences sont entrelacées dans l’humanité.[1]
Une considération d’ingratitude
Que pouvons-nous dire de nous-mêmes et de notre propre relation avec un Dieu qui humanise ? Dans le nord du Nigéria, il existe un certain type de haricot qui est rarement consommé, même s’il est facilement disponible. Ces haricots ont un nom particulier, achi chiru, littéralement traduit de la langue haoussa par : « à manger en silence ».
On se demanderait pourquoi nous devrions être encouragés à manger en silence, alors que le partage d’un repas est un événement social qui s’accompagne généralement de partage de plaisanteries et d’histoires drôles … Eh bien, il y a une raison à cela : pour ceux qui ont donné ce nom à ces haricots, le silence empêche de se plaindre de manquer de quelque chose de mieux à manger, surtout quand on n’a pas le bon sens d’être reconnaissant d’avoir tout de même un repas. Le silence empêche quelqu’un d’être ingrat pour ce qui peut sembler être un mauvais repas, alors que d’autres remercieraient le ciel sans cesse s’ils recevaient ne serait-ce que la même nourriture. Le danger de nos attentes non satisfaites est que nous finissons par nous plaindre et devenons ainsi aveugles à ce pour quoi nous devrions être reconnaissants. On finit par pécher contre la providence de Dieu à notre égard.
Maintenant, soyons honnêtes ! Il peut y avoir, en fait, des moments où nous nous sommes plaints. Dans le passé, nous avons pensé que certaines choses avaient une grande valeur, jusqu’au moment où nous avons été confrontés aux réalités de la vie d’autres personnes en détresse, en grande impuissance ou en impuissance évidente. Ce n’est qu’alors que nous réalisons que nous n’aurions pas dû nous plaindre en premier lieu. Le fait est que nous aurions tout aussi bien pu nous passer de ce que nous pensions indispensable. Jésus nous rappelle que « … vous aurez toujours des pauvres avec vous » (Mt 26, 11) — Pourquoi ? L’une des raisons est de nous inciter à nous contenter des faveurs que nous avons reçues et à nous rappeler qu’il y a toujours quelqu’un d’autre moins chanceux que nous.
Comme indiqué ci-dessus, l’ironie est que lorsque les difficultés poussent les gens à leur plus bas niveau, nous ne les entendons pas se plaindre ; en fait, nous sommes souvent surpris de leur endurance et de leur résilience, et nous nous demandons parfois quelle pourrait être la source de leur force, face à la rudesse de leur vie ?
On pourrait dire en passant, qu’ils ne se plaignent peut-être pas, parce qu’ils ont appris la dure vérité que leurs opinions n’ont pas d’importance dans ce monde qui est le nôtre. Leur cri est comme le cri des poissons dans l’eau. Qui pourrait en faire la différence ? Je me souviens de la fois où un homme qui voulait me dire pourquoi il était satisfait dans la vie déclarait tout en plaisantant : « Pourquoi se plaindre quand la moitié des gens ne P écoute pas, et le reste s’en fiche de toute façon ? » Si nous prenons la peine de nous plaindre, nous finissons par être frustrés et par nous demander pourquoi nous nous sommes dérangés. Nous perdons la paix que nous recherchions. En effet, il est gratifiant d’être reconnaissant et de s’arrêter à cela. De plus, lorsque nos cœurs ont la moindre étincelle de gratitude, ils sont prêts à partager le don de la vie et de ses richesses, en particulier la foi. Un véritable partage de la foi naît de la gratitude.
Arrêtons-nous ici pour dire que la foi a des yeux qui voient l’invisible, et ceux d’entre nous qui possèdent la foi ne doivent jamais cesser de veiller à ce que les sans-voix aient la possibilité de se taire entendre de la société au sens large. C’est ce genre de pratique significative qui apporte la libération.
Partager nos ressources et partager l’Évangile
Il existe un lien entre notre sentiment de gratitude et notre volonté de partager. Les Écritures nous donnent encore et encore un modèle pour notre conduite ; la Torah est très claire sur la responsabilité que nous avons de partager nos ressources : « Quand, dans un de tes villages que le Seigneur ton Dieu te donne, un de tes frères pauvre aura quand même besoin d’un prêt, ne refuse pas de lui tendre la main. Au contraire, ouvre ta main toute grande et prête-lui ce dont il a besoin…».(Dt 15, 7-11). Lorsque nous respectons ces paroles, nous imitons Dieu qui est le bienfaiteur par excellence.
Le Nouveau Testament fait écho à cette idée : tout ce que nous sommes et avons, nous a été donné du ciel (Jn 3, 27). Ici, nous devons accepter que le premier et le plus grand don est « notre vie ». Saint Paul, de son côté, nous encourage à rendre grâce à Dieu pour tout ce que nous avons reçu (1 Th 5, 18) et, à nous soucier humblement du bien-être des autres (Phil. 2, 3-4).
Les évangiles eux-mêmes rendent cette idée très claire. La parabole des dix lépreux (Lc 17, 11-19) nous enseigne non seulement à être reconnaissants pour tout ce que nous sommes et avons reçu, mais elle nous révèle aussi la différence fondamentale entre Dieu et les êtres humains. Dieu n’attend pas un merci. Il exprime la différence entre la façon dont Dieu donne et la façon dont nous donnons – le partage de Dieu et notre partage.
Lorsque les mères, et en fait nous tous, formons les enfants aux bonnes manières et aux connaissances pratiques, comme apprécier les présents et les sacrifices des autres, nous leur rappelons : « Et que dites- vous ? » Dès que l’enfant dit merci, on le félicite — on renforce en lui le lien entre les mots « merci » et recevoir un cadeau. Cyniquement on pourrait observer qu’à la fin, une fois conditionnés, ils diront toujours merci pour s’assurer le cadeau de demain.
Dans la parabole des dix lépreux, Jésus, conscient de l’ingratitude des « neuf autres » lépreux, leur fait quand même don de la guérison. Jésus a fait le même don à tous, les uns ont reçu avec gratitude et les autres sans gratitude, juifs comme samaritains. La générosité de Dieu ignore notre ingratitude. Notre position fondamentale de gratitude Chrétienne peut nous rapprocher de la source de toute bonté. Et à long terme, nous sommes les ultimes bénéficiaires de notre gratitude.
Apprendre à partager comme le Christ l’a fait
Pour en revenir au seul lépreux retourné pour rendre grâce et glorifier Dieu, Jésus a dit : « Lève-toi et va, ta foi t’a sauvé » (Lc 17, 19). Notre gratitude est une façon de reconnaître et d’exprimer notre foi en Dieu. La gratitude du samaritain lépreux s’accompagna du geste de se jeter aux pieds de Jésus. C’est un geste d’adoration et une forme de prière, une prière qui lui a apporté un don encore plus grand ; à savoir, le Salut.
Revenons à l’objet de cette réflexion : les victimes de la violence due à l’organisation sociale.
Nous partageons ce que nous avons et, même parfois, ce que nous n’avons pas. Que nous puissions partager ce que nous avons est facile à comprendre ; mais lorsque le sens de notre humanité commune nous appelle à partager, il nous met au défi de partager même ce que nous n’avons pas. Il peut même nous demander de partager malgré notre incapacité à voir en nous-mêmes quelque chose qui vaille la peine d’être partagé. Nous pouvons ressentir un manque de confiance dans la possibilité d’un nouveau processus de partage.
Lorsqu’il s’agit de partager les douleurs et les difficultés des autres, partager à partir de notre vide ne se fait pas facilement. Malgré tout, dans notre faiblesse et notre sentiment d’inadéquation, dans notre sentiment de vide, nous pouvons encore partager. Pour paraphraser saint Jean-Paul I I, même les pauvres ont quelque chose à donner. Jésus loue le partage des indigents, car il n’épargne rien, comme le montre très bien la petite pièce de la veuve (Lc 21,1-4). Il s’agit d’un don dans lequel on s’abandonne à la providence divine plutôt que de compter sur soi- même ou sur les autres.
Lorsque ce qui doit être donné est quelque chose d’intangible, comme des mots, ce genre de don exige le don de notre présence, même si c’est une présence silencieuse. Oui, parfois des mots appropriés peuvent disparaître de nos esprits en un instant. Il arrive un moment où l’on ne trouve pas les mots justes pour réconforter un ami ou un proche qui souffre. Si nous en trouvons, ce sont peut-être de très bons mots et de bonnes intentions, mais ils peuvent s’avérer ne pas être ce dont nous avons besoin à ce moment précis. Au lieu d’apaiser, ils ne peuvent que raviver les affres de la douleur chez celui que nous souhaitons consoler. Pour cette raison, les locuteurs swahilis disent, ajikwaaye haambiwi pole, en français, « ne dis pas désolé à celui qui trébuche. » La signification
profonde de ceci est que lorsque quelqu’un a du mal à arriver à quelque chose, des mots de sympathie peuvent désespérer cette personne.
Selon les mots du pape François : Il y a des chrétiens dont la vie ressemble à un carême sans Pâques…. Des gens qui doivent endurer de grandes souffrances. Ce sont les personnes dont nous sommes appelés à partager les expériences de vie comme une manière de les servir. Ce sont « les plus abandonnés » dont parle le Vénérable Melchior de Marion Brésillac. Soulignant notre nécessaire réponse, le pape François poursuit : « … lentement mais sûrement, nous devons tous laisser la joie de la foi revivre lentement comme une confiance tranquille mais ferme, même au milieu de la plus grande détresse » (Evangelii Gaudium n 6).
Ainsi, lorsque Jésus ordonne à ses disciples : « vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 8), cela implique de partager ce que nous ne savons pas, ce que nous devons encore apprendre. Nous ne venons pas comme des experts en matière de foi ou comme des génies qui ont tout appris. Nous venons en tant qu’étudiants de Christ l’enseignant, toujours étudiants. Ensemble, avec tous ceux qui cherchent à connaitre Dieu, nous nous approchons de la présence de Dieu les uns avec les autres, pieds nus comme Moïse devant le buisson ardent (Ex 3, 5). Nous devons être toujours prêts à apprendre et à partager ce que nous maîtrisons déjà.
L’humanité s’enrichit lorsque nous partageons les vérités uniques que nous avons apprises et expérimentées sur Dieu dans notre diversité. Notre défi au partage ne s’arrête pas à la terreur et aux persécutions.
Il va sans dire que là où il y a des persécutions, il y a aussi bien d’autres formes de souffrances humaines. Dans notre ministère, nous devons faire face à de nombreux autres problèmes sociaux, dont le chômage croissant des jeunes, une réalité qui engendre le désespoir et les nombreuses répercussions qui en découlent. Parfois, le chômage est dû à des gouvernements non fonctionnels ou corrompus, et seule une foi basée sur l’intervention divine peut inspirer de l’espoir aux personnes défavorisées dans un contexte de pauvreté abjecte et généralisée.
Parfois, nous devons faire face à un système de santé surchargé, à un manque d’équipements sociaux appropriés, à des problèmes liés à l’immigration et à l’urbanisation, à des systèmes d’éducation et de justice défaillants et à une cécité face à la dégradation de l’environnement. Il m’est impossible de détailler tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés dans notre travail de proximité.
Je veux m’attarder un instant sur cette dernière question, celle de l’environnement. Je pense que c’est une question dans la réalité africaine qui ne nous préoccupe pas assez. Comme nous le savons, aux yeux de saint Paul, c’est toute la création qui a soupiré dans les douleurs de l’enfantement, jusqu’à présent, en attendant la rédemption (Rm 8,22). Je le mentionne ici, car il n’y a, en fait, pas de solution rapide à l’impasse dans laquelle nous nous trouvons. Notre réponse en tant que chrétiens et particulièrement en tant que catholiques, devrait être apportée à travers le prisme de l’évangile.
Dans l’ensemble, les exigences de l’Évangile restent constantes : nous sommes appelés à partager le don de la vie et à encourager ce partage. Nous nous efforçons de rester fidèles à notre volonté de partager. Dans le cadre de notre réponse, nous devons enseigner d’importantes compétences pratiques, nécessaires à la poursuite de la vie sur cette planète et aux générations futures ; celles-ci peuvent inclure la communication, le travail d’équipe, la flexibilité, la pensée critique et la pleine conscience de qui nous sommes appelés à être, pour ne citer que ceux-là. Nous devons faire cela en sachant que le partage de nos ressources est le fondement de la justice et de la paix.
L’Évangile est toujours exigeant, car « quand la vie intérieure se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la voix de Dieu, on ne jouit plus de la douce joie de son amour, l’enthousiasme de faire le bien ne palpite plus » (Evangelii Gaudium n° 2).
Faire face à l’anxiété
Malgré nos efforts pour relever les défis humains et soulager les souffrances, les appels à l’aide se multiplient. Nous les rencontrons chaque jour dans notre travail missionnaire. Travailler dans ces conditions peut créer une pression en nous et nous enlever notre joie et notre paix, et nous rendre anxieux. Cela se produit particulièrement dans les moments où nous nous sentons aussi vides et aussi impuissants que ceux que nous sommes appelés à servir.
Des chercheurs travaillant dans le domaine des sciences du comportement nous enseignent que « l’anxiété et les tensions sont des fonctions essentielles de la vie, au même titre que la faim et la soif. Ce sont nos réactions d’autoprotection lorsque nous sommes confrontés à des menaces pour notre sécurité, notre bien-être, notre bonheur ou notre estime de soi (Stevenson 1962, 384-385). Bien qu’ils fassent partie du système de défense de la vie, nous devons être conscients des dommages qu’ils peuvent causer. Les mêmes chercheurs nous avertissent d’être « vigilants lorsque nos bouleversements émotionnels deviennent plus fréquents et lorsqu’ils nous secouent sévèrement ». Lorsque l’anxiété devient chronique, elle peut nuire à notre santé et à notre vocation chrétienne. Certaines personnes parlent d’épuisement professionnel, c’est-à-dire d’effondrement physique ou mental, généralement causé par le surmenage, le stress ou un travail infructueux.
Les enseignants concernés, les médecins, les hommes et femmes d’affaires et de nombreux types de travailleurs le savent. Individuellement et en groupe, ils cherchent des remèdes dans les solutions offertes par la science moderne : planifier sa récréation ; faire une chose à la fois ; éviter l’envie de devenir un super-homme ; être objectif avec la critique ; en parler avec quelqu’un.[2]
En tant que croyants et ministres de l’Évangile, nous acceptons et utilisons également ces recommandations ; par exemple, nous parlons à un ami qui est tout aussi humain que nous, quelqu’un en qui nous avons confiance pour nous écouter et nous aider, mais plus important encore, nous parlons à Jésus, qui nous appelle aussi amis (Jn 15,15).
Mots de clôture
C’est en partageant et en conversant avec notre Divin Ami dans la prière que nous pouvons trouver pertinent le texte suivant de Mgr Oscar Romero :
Il est utile, de temps en temps, de prendre du recul et d’avoir une vision à long terme. Le royaume n’est pas seulement au-delà de nos efforts, il est même au-delà de notre vision. Nous n’accomplissons de notre vivant qu’une infime partie de la magnifique entreprise qu’est l’œuvre de Dieu. Rien de ce que nous faisons n’est complet, ce qui est une façon de dire que le royaume se trouve toujours au-delà de nous.
Aucune déclaration ne dit tout ce qui pourrait être dit.
Aucune prière n’exprime pleinement notre foi.
Aucune confession n’apporte la perfection. Aucune visite pastorale n’apporte la plénitude.
Aucun programme n’accomplit la mission de l’Église.
Aucun ensemble de buts et d’objectifs ne comprend tout. C’est de cela que nous parlons.
Nous plantons les graines qui pousseront un jour.
Nous arrosons les graines qui sont déjà plantées, sachant qu’elles sont porteuses d’avenir.
Nous posons des fondations qui devront encore être développées.
Nous fournissons une levure qui produit bien au-delà de nos capacités.
Nous ne pouvons pas tout faire, et il y a un sentiment de libération à s’en rendre compte.
Cela nous permet de faire quelque chose, et de le faire très bien.
C’est peut-être incomplet, mais c’est un début, une étape sur le chemin, une opportunité pour que la grâce du Seigneur entre et fasse le reste.
Nous ne verrons peut-être jamais les résultats finaux, mais c’est là la différence entre le maître d’œuvre et l’ouvrier.
Nous sommes des ouvriers, pas des maîtres bâtisseurs ; des ministres, pas des messies.
Nous sommes les prophètes d’un avenir qui n’est pas le nôtre.
L’artiste de la Renaissance Léonard de Vinci avait raison de dire : « une œuvre d’art n’est jamais achevée ; elle est seulement abandonnée. Abandonnée, dans le sens où elle est laissée ouverte pour être poursuivie. Nous sommes des collaborateurs dans le grand projet de Dieu, un projet plus grand que nous. Nous sommes ici pour faire notre part, de notre mieux. C’est Dieu qui mène cette œuvre à sa bonne fin. »
(Ref: Mission comme Passerelle, No.154, 2022, pp.77 – 87)).
(An English translation of this article will be available soon on SEDOS Website).
[1] Un proverbe africain dit, coupez un doigt et le reste est couvert de sang. Nous ne pouvons pas réussir à blesser un autre être humain sans nous blesser nous- mêmes. Le silence des faiseurs d’opinion pertinente sur une question aussi cruciale est préoccupant et si ce n’est pas le cas, alors quoi d’autre le sera ?
[2] S. G. Stevenson, « The Magical Ways to Inner Peace, How to Deal with Your Tensions », in Our Human Body, Its Wonders & Its Care. New York 1962, 384.